Histoire

La Porcelaine tendre de Tournai (1751 – 1890)

Fin 1750, début 1751 : Un certain François-Joseph Peterinck, né à Lille en 1709, marchand de charbon à Ath et ancien officier de l’armée française, marié à Anne-Marie Deswattines, rachète la manufacture de faïence de Carpentier pour y fabriquer en plus de la faïence, de la porcelaine tendre. Lors de la vente de la faïencerie, Carpentier a sans nul doute présenté les frères Dubois qui étaient employés chez son beau-frère Dorez (faïencier à Valenciennes et à Saint-Amand). Avec des idées techniques et innovatrices, et un capital propre, il déniche les frères Dubois (céramistes célèbres) et en fait des associés. Les frères y travaillaient depuis 1749.
Les frères Dubois transfert des manufactures de Saint-Cloud, Chantilly, Vincennes et Valenciennes, travaillent à Saint-Amand dans la manufacture que dirige Pierre-Barthelemy Dorez, beau-frère de Carpentier.
Un contrat est élaboré entre Robert Dubois, l’aîné tourneur et Peterinck. Les Dubois apportent « Arts et sciences » dans la composition de la pâte et des couleurs (tant en porcelaine qu’en faïence).
1751 : Peterinck présente à Charles de Lorraine un lustre de porcelaine (fabriqué par les Dubois) composé de deux étages, entrelacé de 16 branches, la quantité de fleurs est considérable. Il obtient un monopole de 30 ans par le gouverneur Général (Charles de Lorraine).
1751 : Caillat venu de Vincennes vend les secrets des couleurs à Péterinck, Caillat fera de même un peu plus tard à Chantilly. Gilles Dubois ne reste pas dans la manufacture Tournaisienne et part à Vincennes en 1752 avec son camarade cadet Chanou, où il propose la recette de la porcelaine pâte dure.
Robert Dubois apparaît seul et est mentionné comme directeur de la manufacture où il s’occupait personnellement de mouler, tourner et de surveiller les cuissons.
En 1752, le Prince Charles de Lorraine, gouverneur des Pays-Bas accorde à la manufacture de Tournai le titre d’Impériale et royale, il est autorisé des placer les armes de sa Majesté, il est autorisé également à choisir une marque spécifique pour la porcelaine de Tournai. Peterinck choisi la Tour symbole de Tournai. Cette marque est utilisée jusqu’en 1763, ensuite on retrouvera les épées croisées et croisettes.
On retrouvera aussi dans la manufacture des artistes comme Nicolas Gauron, Antoine Gillis,…
François Carpentier : érige l’usine de faïence au quai des Salines 1750
Borne : Peintre sur faïence à Rouen (25 ans) arrive à Tournai en 1752. Excellent peintre sur faïence (bibliques et mythologiques) Signature et date deux grands plats ronds représentant l’un Vénus et Adomis (1736), l’autre les 4 saisons (1738), il quitte Rouen pour Sinceny (1 an) puis arrive à Tournai avec fils, frère et 2 autres compagnons (tous peintres sur faïence).
1755 : Borne part de la manufacture de Tournai vers Mons et emporte avec lui les moules. Il serait revenu à Tournai ? (décède en 1772)
6 mai 1755 : Arrivée d’un nouveau chef des peintres dénommé Cardon de Bertauvillet.(originaire de Soissons), il est le directeur des peintres en porcelaine et faïences Japonées
Jean-Claude Cardon de Bertauvillet fournit les compositions des couleurs de Saxe, de la dorures et d’autres secrets. Jean-Claude arrive directement de Strasbourg, il aurait reçu ces secrets de Johann-Gottlieb Roth (peintre à Strasbourg) qui lui-même les aurait reçus quand il travaillait avec A-F Von Lowenfinck à Meissen et Höechst (de 1747 à 1748)
1756 : Peterinck est ruiné par la mise au point de la pâte tendre et il se voit dans l’obligation s’associer avec deux bailleurs de fonds (Caters et Van Schoor) Peterinck reste propriétaire pour 1/3 de la manufacture.
1756 : Antoine Gillis né à Dôle (travaillait à Valenciennes) il a oeuvré sur la sculpture de la Chaire de Vérité de la Cathédrale de Tournai, il y travailla jusqu’en 1764
On retrouve Robert Dubois à Chantilly en 1758 avec plusieurs ouvriers de Tournai, dont son beau-frère Cerisier présent avec lui depuis le début.
1759 : Robert Dubois décède à Chantilly (dans l’Oise)
1758 : Nicolas GAURON est chef d’atelier des modeleurs et acheveurs jusqu’en 1764, avant, il travaillait comme modeleur à Mennecy-Villeroi (1753) et 1754 à Vincennes!! 1761 : Peterinck refuse de divulger les secrets de la pâte tendre à ses associés, il sera emprisonné.
1762 : Peterinck est remis en liberté grâce à l’intervention du Comte Cobenzl
1763 : La direction artistique est sous Michel-Joseph Duvivier, il était spécialisé dans la peinture des paysages fluviaux et des oiseaux échassiers aux couleurs imaginaires. C\’est la période de la perfection technique, des anses torsadés et des fretels composés. Les décors sont réhaussés d\’or ciselés. Les dégradés sont utilisés, les camaïeux pourpre ou vert, les amours de Boucher, les fleurs, les paysages fluviaux ou marins, les oiseaux de fantaisies, les légumes, etc…
31 janvier 1768, le Directeur artistique de la manufacture de Tournai, Michel-Joseph Duvivier reçoit la marque honorifique de Charles de Lorraine, Gouverneur des Pays-Bas, qui sera contesté…
Charles de Lorraine possède sa propre manufacture de porcelaine au château de Tervuren, dans la Cour Brûlée (ancien palais des Ducs de Bourgogne), un atelier de peinture décorative et de petit feu sur porcelaine y est installé, 5 personnes y travaillent, la direction de cette petite manufacture est dirigé par Georg-Christoph Lindemann, 2 peintres, 1 mouleur et 1 manoeuvre. Pourquoi cette précision sur cette manufacture ? et bien, le moulin et le four furent livré en 1768 par la manufacture de Tournai et les secrets de fabrication et les moules ont été donnés aux Gouverneur, d’où la confusion entre Tournai et Tervuren, de plus des porcelaines blanches étaient expédiées pour y être décorées. Destruction de cette Cour Brûlée en 1774.
Un service de table apparu en Allemagne et apporte de précieux renseignements…
Le service du Prince de Starhemberg, offert par Charles de Lorraine et successeur de Cobenzl (1770-1783. Un ensemble de 68 pièces dont certaines sont signées par Lindemann et/ou marquées par la Croix de Lorraine. La bordure des pièces est divisée par quatre réserves décorées de bouquets de fleurs et alternées par des quadrillages lie de vin. Le centre entouré d’une rocaille verte, est orné de paysages finement peints dans le goût des réalisations de Lindemann à Nymphenburg, par contre les fleurs sont moins réussies (autres peintres ?). L’or est également plus plat, il existe un ou des autres services où le quadrillage lie de vin est séparé par des guirlandes fleuries en or.
Lindemann Georg-Christoph né à Dresde, en Allemagne. Chef des peintres à Nymphenburg de 1758 à 1760, puis à la manufacture de Höchst.
Charles de Lorraine : meurt en 1780, son Château est démoli un an plus tard.
Cobenzl (comte) : mécène de la manufacture de Tournai, il réside à l’hôtel Mastaing à Bruxelles, décède en 1770. Un inventaire mortuaire est établi :
378 pièces décor de fleurs et bords dorés
12 assiettes décorées de fleurs brunes (manganèses ?)
12 assiettes fond blanc et fleurs vertes
Statuettes et groupes en grand nombre
Le service commandé par Cobenzl (entre 1763 et 1770) est décoré d’un papillon en bleu représenté dans un médaillon cerné d’une guirlande grecque or, le galon reprend cette guirlande grecque et est souligné de fleurs de lys réhaussé d’un or gravé d’une belle épaisseur (plusieurs centaine de pièces) On retrouve dans un bon de commande de 1765 : 220 pièces dont 44 compotiers de 11 formes différentes.
Période faste 1770 – 1776
1771 : François de la Musellerie est premier peintre de la manufacture.
La manufacture possède un magasin à Cadix en Espagne et un autre à Amsterdam. Exportation vers la Russie.
Pendant quelques cinquante année, le directeur artistique restera le même à savoir Joseph Mayer.
1775 : Les formes rocailles sont abandonnées, les formes et lignes plus rigides et plus simple sont adoptés. Les décors deviennent plus simple et légers.
1776-1790 : La manufacture de Tournai envoie de la porcelaine blanche, blanche et bleue vers La Haye pour y être décorée en polychromie petit feu. La manufacture de La Haye est dirigée par Antoon Lyncker.
Le Duc d’Orléans, cousin du Roi Louis XVI commande un service de 1600 pièces décoré d’oiseaux copiés de l’histoire naturelle des oiseaux de Buffon. Ce service ne sera jamais payé !
1798 : Peterinck vend la manufacture à une de ses filles, Amélie, mariée à l’avocat Jean-Maximilien de Bettignies. Assiette de mariage de Amélie et Jean-Maximilien (1783). Peterinck meurt en 1799 à l’age de 80 ans.
En 1800, les formes sont plus simples, moins raffinées, le marché devient plus vaste, la manufacture s’oriente vers la production en séries.
Jean-Maximilien décède en 1802, sa femme Amélie dirige l’usine jusqu’en 1808, là, elle cède la manufacture a trois de ses huit enfants, Henri, Olympe et Nathalie, jeune épouse de Jean-Batiste Ragon qui prendra la direction. Un certain Maurice Saint-Léger prendra part dans la nouvelle société dénommée « Ragon, de Bettignies et Cie », la faillite sera prononcée en 1814. Des représentants du Tribunal de Commerce sont envoyés pour y surveiller et diriger les opérations de la manufacture, Charles le Coq est administrateur provisoir et invite le nouveau souverain Guillaume 1er et les commandes de porcelaine s’en suivent. Un grand service comprenant 79 douzaines d’assiettes plates décorées de guirlande grecques sur le bord, et porte au centre le chiffre royal W surmonté d’une couronne (W = Willem).
En 1815, le syndic vend l’usine à Olympe de Bettignies, 2 ans plus tard son frère Henri la lui rachète (1817), il la gardera pendant 33 ans (1850), il la vendra à la Société Boch et Frères.
Vers les années 1830, la clientèle commence à redemander à la manufacture des pièces dans le style de 1760 et celle-ci refait des assiettes chantournées et godrons.
Au XIX, la manufacture s’est spécialisée dans la réalisation de services destinés à des corporations ou des gildes. Les sociétés de tirs d’archers, d’arbalétriers et arquebusiers sont ses principaux clients. De cette période on retrouve également les motifs avec chiffres.
La France instaure un droit d’entrée prohibitif pour la production de Tournai, afin d\’y remédier, Henri de Bettignies crée un dépôt puis une fabrique à Saint-Amand-Les-Eaux (1817) C’est son jeune frère Maximilien qui en prendra la direction. Une autre manufacture preNdra le jour à Saint-Amand (grâce a des transfuges tournaisiens), on y retrouve un ancien peintre et marchand de porcelaine de Tournai, François Bastenaire et un associé Piat Dorchies. Bastenaire part pour Paris en 1819. Fauquez à quitté Tournai début 19ième vers Saint Amand.
Vers 1820 Henri de Bettignies demande au Roi Guillaume 1er d’acquérir un service de luxe, le service est nommé « aux grands oiseaux » pour le différencier des oiseaux de Buffon commandé par Le Duc d’Orléans (1787). Une partie de ce service a été peint par Joseph Mayer (1825). Ce service fût offert à Charles le Coq de Pletincx.
Dorchies vend la manufacture en 1833 à Triboullet (sous directeur de Sèvres) qui la revendra en 1837 à Maximilien de Bettignies. La manufacture installé sur la butte du moulin des Loups, elle produisit de la porcelaine tendre, ayant le même procédé de fabrication, elle sera également confondue avec celle de Tournai. On y fabriquera également de la faïence stannifère.
La porcelaine tendre de Saint-Amand. Eugénie (Impératrice des Français), la Reine Victoria et la famille royale des Pays-Bas sont des clients de la manufacture. Vers 1860, les deux fils de Maximilien-Joseph sont formés à l’école de porcelaine de Sèvres, grâce à leur savoir faire, il se lance dans la fabrication de faïence fine, il décède en 1865. Les deux fils ; Maximilien et Henri poursuivent les affaires familiales.
1880, la manufacture de Saint-Amand est vendue à des Brasseurs qui se consacrent uniquement à la faïence fine.
Revenons à la manufacture tournaisienne, vers 1850, Hubert Dasseborne qui travaille depuis 1829 dans les faïenceries Boch est nommé directeur de la manufacture tournaisienne, et recrute des ouvriers dont le célèbre Jean-Baptiste Mouzin (Imprimeur, décorateur). C’est bien dans cette période que l’on retrouvera les pièces avec décors posés par décalcomanie, tels que décors de singes, paysages, enfants.
1875, Hubert Dasseborne décède et la manufacture reste quatre années sans directeur, le bilan est déficitaire.
En 1882, un Parisien Charles Levy est nommé directeur, il se réoriente vers la porcelaine dure, mais continue la tendre. La chute est inévitable, les actionnaires déposent le bilan le 15 juillet 1889. Kéramis rachète des moules et planches gravées. Les ouvriers sont dirigés vers la manufacture de Sarreguemines.
Dernière cuisson le 21 août 1890.

Musée de Mariemont
Musée des Arts Décoratifs à TOurnai
Musée du Cinquantenaire à Bruxelles
Lecture
E. Soil de Moriame : La manufacture Impériale et Royale de Porcelaine de Tournai.
A.M. MARIEN-DUGARDIN : Porcelaines de TOurnai.
DEROUBAIX : Les porcelaines de TOurnai du Musée de Mariemont.